GESTE Paris 2018 – Binaire / Non-Binaire
L’exposition GESTE Paris 2018 a rassemblé un ensemble d’œuvres très hétérogène, réuni autour du thème « Binaire / Non-Binaire ». Au total, une soixantaine d’artistes ont été exposés pendant le mois de la photographie à Paris dans le cadre privilégié d’un appartement parisien. Organisée par l’artiste Shiva Lynn Burgos et son mari dans leur domicile parisien, l’exposition est avant tout un dialogue entre des œuvres issues de leur propre collection et des œuvres choisies d’artistes sélectionnés.
En poussant la porte d’entrée, le visiteur rentre dans l’intimité d’une collection privée. En effet, contrairement au classique white cube des galeries d’art, ici le visiteur est pleinement immergé dans un espace de vie quotidienne où l’œuvre retrouve son usage premier d’objet de décoration. Le temps d’un instant hésitant, mais la surprise s’estompant, le visiteur commence la visite et le dialogue se met en place.
Le cadre convivial de l’appartement bourgeois était essentiel à ce dialogue, véritable hommage aux salons français du XVIIIe siècle. L’organisation de plusieurs conférences au cours de l’exposition a de ce fait permis de donner la parole aux artistes et de créer cet échange intimiste avec les visiteurs, constitués d’amateurs d’art, de professionnels et de critiques.
Au pied du Ministère de la culture, on se retrouve, dès lors, déjà bercé dans une dualité architecturale qui a su faire parler d’elle – la restauration de l’immeuble du Ministère de la Culture par l’architecte Francis Soler qui avait été condamné en 2005 à verser un euro symbolique aux héritiers du concepteur de l’immeuble, Georges Vaudoyer – ce n’est qu’une mise en bouche. Car si le thème de l’exposition « binaire / non-binaire » pose énormément de questions, il n’en écarte aucunement autant de réponses.
Dès le vestibule, le visiteur comprend rapidement l’étendu de la question, abordée ici par des œuvres de certains pionniers du computer art. Deux œuvres de l’anglais Desmond Paul Henry, une œuvre de Vera Molnar, des œuvres de Robert Mallary et Waldemar Cordeiro, apportent une réponse – en tout cas une approche – au thème abordé, par l’utilisation de protocoles informatiques et robotiques. On comprend alors le parallèle avec le code binaire pour certaines œuvres présentes, mais quand est-il du non-binaire ? Sûrement l’éclectisme des travaux alors présentés, tous pertinents dans leurs approches qui leurs en sont propres. La qualité des œuvres n’est pas à remettre en question, mais le thème n’est alors qu’en partie abordé.
Très vite, d’autres œuvres se greffent, laissant entrevoir le principal angle d’attaque scénographique de la curatrice des lieux, un angle avant tout esthétique. Deux photographies hypnotiques de l’artiste israélien Tom Marshak, où l’on entrevoit des visages dissous – effacés même – sous l’effet de l’acide. Plus loin, quatre œuvres uniques de l’artiste italien Gianfranco Chiavacci – véritable touche-à-tout et expérimentateur – issues d’un travail en chambre noir, et utilisant des fils peints à la peinture fluorescente, faisant écho à une esthétique très bleu néon du fameux tube cathodique des films et séries des années 80, nous permettant peut-être de faire le lien avec les œuvres plus numériques qui l’entourent ; car tant ces œuvres se suffissent à elles-mêmes, il en est un véritable coup de cœur, tant esthétique que technique, en dehors du temps et de l’appartement.
Notre chemin s’enfonce ensuite dans un langage informatique à travers les réalisations de Rob Meyers et Martin Lukas Ostachowski. On y découvre des œuvres numériques en perpétuelles évolutions autour de la crypto-monnaie et du Blockchain art – créant de nouveaux champs d’exploration pour ces mêmes artistes.
Vient le salon, incontestablement construit autour de la conversation de deux grands formats de Martin Désilets et Susan Morris, qui se font face, et complètent cette approche du thème tournée vers un aspect plutôt technologique de la question. Si l’être humain est à l’origine d’un certain nombre de protocole, ces travaux sont une traduction informatique de traitement de données entrées par les artistes. La machine traduisant en effet, ce qui lui a été commandé par l’artiste, en fichiers – œuvres – codifiés compréhensibles pour elle certes, et donc s’exhibent devant nous comme quelque chose d’abstrait.
Même si le contrôle de l’artiste est alors toujours prédominant dans ces précédentes œuvres, une impression de l’américain David Young – spécialiste américain de l’intelligence artificielle – vient tout chambouler. Ce travail constitué finalement d’erreurs – à travers l’apprentissage d’une intelligence artificielle – est le résultat très poétique du traitement d’une fleur et de son interprétation par une IA limitée.
Si l’approche technologique du thème a été jusqu’alors abondamment traitée – axe d’étude notamment développé par le deuxième commissaire de l’exposition, Georg Bak – les photographies percées d’un trou noir laissant entrevoir l’univers de l’horizon observable des paysages de l’artiste mexicain Aldebarán Solares – l’image et le vide absolu – viennent ensuite se greffer à l’ensemble ; un ensemble dont l’approche est pour le moment autant technique qu’esthétique. Mais qu’en est-il du genre ?
L’exposition se poursuit dans une cuisine contemporaine et minimaliste, très dépouillée, voire même aseptisée, qui s’assemble parfaitement avec les expérimentations sous forme de codes binaires de Lori Hepner et les portraits de la photographe Corinne Mariaud – de jeunes hommes asiatiques maquillés, immaculés presque – et effectivement très léchés. Alisa Phommahaxay, troisième commissaire de l’exposition, prend alors possession des lieux pour imposer son regard sur la question du genre.
C’est dans un couloir – carrefour architectural de l’espace et de l’appartement – que l’on aperçoit ce nouvel angle d’attaque. On est alors absorbé par le très beau portrait de Quentin Houdas, reprenant tous les codes des portraits classiques. Cette photographie est celle de la mannequin brésilienne Maia – née homme – que l’artiste a su mettre en valeur dans une pause majestueuse. Un roi ? une reine ? qu’importe. La question est gommée par la grâce charismatique du personnage.
Un portrait par Léonard Bourgeois-Baulieu – autre artiste invité par Alisa Phommahaxay – capture un moment de vie intime d’une personnalité de la culture LGBT via le semi-développement raté d’un polaroid – non-prémédité – et où le buste finit par se fondre dans un éclat de lumière blanche, stigmate de l’accident. L’accident devient finalement une autre caractéristique inhérente de l’exposition, notamment présent dans les travaux de Susan Morris et de David Young.
On finit alors par envisager la complexité du thème abordé et de son traitement. Les liens se font au fil de l’exposition, autant par le dialogue des œuvres entre-elles que par les discussions des intervenants et de l’audience. Les photographies de Chill Okubo complètent le sujet en illustrant le non-genre à travers les hackings de Cuco Cuca, figure non-genrée masquée.
Regroupant des œuvres du Computer Art, de la photographie contemporaine, des projets vidéos et sonores, de la peinture, en passant par le Blockchain Art, mais aussi des projets traitant pleinement de la problématique du genre, le thème de l’exposition pose plus de questions qu’il n’apporte de réponse. Et c’est là tout l’enjeu de cette exposition ! L’ensemble permet de découvrir des artistes moins connus, des figures montantes, et d’en redécouvrir certains, le tout dans un environnement convivial où le débat est parti intégrante de l’exposition, si ce n’en est-même le cœur de la dispute.
Théo Loinard